Encore une fois les courants dogmatique et opportuniste au sein du MDS semblent se diviser sur l’héritage d’El Hachemi Chérif. Cette fois-ci c’est autour de la position du défunt secrétaire général d’Ettahadi et du MDS vis-à-vis de certains officiers supérieurs de l’ANP, un peu trop mécaniquement assimilés à l’institution. Certaines lectures dogmatiques de la conjoncture politique, se référant aux écrits d’El Hachemi Chérif, tendent à épargner de leurs critiques les généraux-majors qui ont incarné l’armée sur la durée et dans des moments décisifs pour l’État national républicain.
Il est incontestable, qu’avec un immense sens des responsabilités, le défunt secrétaire général du MDS, soulignait systématiquement le rôle patriotique joué par l’institution et ses chefs dans l’affrontement avec le terrorisme islamiste. Des hommages répétés aux sacrifices des djounoud et officiers aux messages de soutien à ses dirigeants visés par des attentats, en passant par le rappel incessant de son rôle de colonne vertébrale de l’État et par la dénonciation de la campagne du qui-tue-qui, la clarté du discours d’El Hachemi Chérif sur l’ANP lui a valu la reconnaissance des milieux modernistes, patriotiques et démocratiques, mais aussi la haine de l’islamisme qui a voulu l’assassiner et les critiques acerbes des réconciliateurs qui l’ont affublé de l’étiquette d’éradicateur inféodé aux généraux, à défaut d’arguments face à ses analyses impitoyables. Tout en se revendiquant d’El Hachemi Chérif, les approches dogmatiques font cependant l’impasse sur les critiques régulières formulées par le défunt.
En effet, peu de personnalités politiques ont autant exprimé leur désaveu de certains propos et intiatives revendiqués par des généraux médiatiques et plus fondamentalement sur le rôle contradictoire de l’institution.
En juin 1996, El Hachemi Chérif procédait à « une autopsie d’une contribution » du général Rachid Benyellès qui analysait les événements d’octobre 88 en prétendant qu’ils s’étaient déroulés à l’instigation du PAGS, auteur d’un véritable complot. Naturellement à l’époque aucun des auto-proclamés défenseurs de la lutte des classes qui stigmatisaient El Hachemi Chérif, accusé d’avoir trahi le parti né en résistance au coup d’État militaire de 1965, n’avait pris la peine de lui répondre. Ce sera d’ailleurs ainsi face à toutes les attaques dont celle du FAM et celles portées encore épisodiquement contre le parti qu’ils prétendent regretter. En fait le général Benyellés qui était un partisan assumé de la réconciliation avec l’islamisme tentait de s’attaquer au parti dont El Hachemi Chérif avait été élu le coordinnateur lors du congrès de décembre 1990 pour lui imprimer une ligne résolumment anti-islamiste, tout en ne manquant pas de dénoncer le système rentier bureaucratique.
La fameuse ligne de double rupture dont se revendiquent aujourd’hui, même ceux que l’on avait jamais vu ni à Ettahadi, ni au MDS. Dans sa réplique, El Hachemi Chérif rappelle d’abord que le général Benyellès était, au côté de Messadia, membre du bureau politique du FLN, en octobre 1988. Il explique alors que « sous prétexte d’éclairer un épisode marquant de l’Histoire récente du pays, son intervention participe en fait directement des luttes en cours opposant le projet intégriste au projet démocratique moderne ».Pour El Hachemi Chérif la « sortie » de Benyellès était vouée à finir en « eau de boudin ». Il reproche alors à Rachid Benyellès d’avoir été, sous Chadli, « un stratége politique à défaut d’être un officier digne de sa fonction ». Il moque sa thèse « dont on ne peut pas dire qu’elle soit étincelante ». Il lui reproche « de manipuler les faits, leur enchaînement, à sa guise » et même de les falsifier à dessein, dans le but de dédouaner le système avec son personnel politique, ses clans et son mode de gestion », et en particulier Chadli, dans le déclenchement d’octobre. Il ajoute alors que « c’est en octobre 1988 que Chadli aurait dû partir…, et, avec lui, les siens, et en premier lieu le BP du FLN dont faisait partie Rachid Benyellès ». Enfin il concluait : « le minimum de décence et de prudence, c’est au moins de suivre l’exemple de Chadli : se retirer et s’astreindre délibérement à l’oubli ».
Rachid Benyellès se présentant comme outragé par les propos virulents d’El Hachemi Chérif se demandera, dans un commentaire, si son « audace pouvait aller jusqu’à traiter les généraux encore en activité avec la même liberté de langage » ? L’histoire a retenu qu’El Hachemi Chérif n’a pas hésité à dénoncer les généraux les plus puissants, même en activité. Quand Betchine alors conseiller du Président Zeroual, lui interdit de rencontrer les patriotes de Haouch Grau, il défie l’interdit et se rend auprès de Mohamed Sellami et de ses compagnons. Quand accompagné d’Ali Hocine, il est reçu par le Président Zeroual assisté du même Betchine, il signifie séchement le refus de cautionner un nouveau dialogue pour réhabiliter l’islamisme. Il échappe alors à l’attentat mené par le sinistre Guezmir d’une part et doit, d’autre part, affronter un procès aux côtés de Belhouchet le directeur d’El Watan, accusé d’outrage à corps constitué, suite à l’expression de doutes sur l’origine de certains attentats.
Il dénoncera encore le tout puissant général Betchine lors de l’affaire Sider dans laquelle « des cadres supérieurs, dont tout le monde reconnaît la compétence et la probité, qui ont dirigé le fleuron de l’industrie algérienne la plus avancée, croupissent en prison depuis de longues années, en étant tout à fait innoncent ». Il reproche à Mohamed Betchine qui en « détient les preuves irréfutables » de se taire « d’un silence qui rendrait la carpe jalouse ». Il relève que « quand Betchine cache cette vérité, il commet en vérité un parjure. Sinon, que vaut le serment « dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité » devant les juges appelés à statuer au nom du peuple, et pas au nom de l’État et de ses secrets, parce que le peuple est supérieur à l’État, n’est-ce pas ? » Mais le conflit avec Betchine n’était pas terminé. Au cours de l’été 1998, Liamine Zeroual allait démissionner, suite aux accusations d’instrumentalisation de la justice et de corruption contre son conseiller, accusations lancées par Ali Bensaad puis Noureddine Boukrouh. C’est pourtant El Hachemi Chérif et le MDS qui font l’objet de la riposte du général qui se tient derrière le journal « l’Authentique ». Le quotidien et le général, réunis par le SG du MDS sous le nom de groupe B, dénoncent eux aussi un complot. Ironique, El Hachemi Chérif se demande : « ce groupe a-t-il besoin d’un souffre-douleur ? D’un shprountz, dirait Boris Vian ? » « S’il veut nous obliger à nous disculper de ce que dit Boukrouh, c’est peine perdue, car sur le sujet en question, nous sommes, ensemble, sur une même longueur d’ondes ».
Pourtant quelques années auparavant El Hachemi Chérif accusait le même Boukrouh de faire le lit de l’islamisme et d’avoir participé à la rencontre de San Egidio. « Boukrouh briéfé, manoeuvré par le MDS ? Diantre ! Quelle aubaine ! Et quel argument de poids pour acculer le MDS à la défensive ! » Il explique alors que l’approche du groupe B et du MDS sont aux antipodes l’une de l’autre malgré la confusion que tentent de semer les amis de Betchine. En conséquence El Hachemi Chérif continue : « Après tout ce khalouitous, les motionneurs peuvent bien saluer en Betchine son attitude qui consistera à refuser de répondre aux provocations des rentiers » parce que « cette personnalité fait partie des acquis légitimes et cadres intégres de la Nation ».
Mais « dites-nous, s’il vous plaît, messieurs, qui sont ces rentiers, s’ils ne sont pas ceux auxquels tout le monde pense ? Et les capacités les plus vitales du pays, les vraies, celles qui croupissent en prison, sont écrasées par le poids des appareils, poussées à l’exil intérieur et extérieur, où faudra-t-il les classer ? » s’interrogera finalement El Hachemi Chérif. Betchine n’osera pas l’affronter directement durant cette polémique. Il s’agissait alors pour lui de mettre sur la défensive les forces qui s’opposaient réellement à l’ouverture d’une trève avec l’AIS, tout en suggérant que c’était justement parce que Zeroual s’y opposait qu’il était poussé à la démission. La véritable position du général Zeroual se lisait néanmoins dans sa fébrilité à reprendre le processus électoral qui servait de caution à la réhabilitation de l’islamisme et à passer le flambeau à Bouteflika.
Benyellès, Betchine ne comptent pas. Ils étaient considérés comme du côté des islamistes diront nos dogmatiques. Soit ! Mais El Hachemi Chérif n’a pas épargné non plus les généraux Touati, Khaled Nezzar, Mohamed Lamari. Commençons par le général Touati qui en a pris pour son grade. Le 2 novembre 2002, c’est El Watan qui rapporte, à son tour, les propos dubitatifs d’El Hachemi Chérif à propos de la polémique entre l’armée et Bouteflika. A l’occasion des 3èmes perspectives citoyennes, le secrétaire général du MDS soulignait que « ceux qui se disent contre la réconciliation nationale continuent à réclamer leur paternité sur la Concorde civile. Or, la réconciliation nationale est portée déjà dans le fondement de la concorde civile ». Le général Touati a alors la réputation d’être le cerveau de l’armée et venait de s’exprimer à l’occasion d’un colloque sur le terrorisme international tenu après les attentats du 11 septembre 2001. El Hachemi Chérif constate alors que l’on a abordé les questions les plus variées tout en regrettant que la question du projet politico-idéologique de l’islamisme ait été sousestimée.
Il note ainsi que « au-delà des clarifications apportées par des officiers généraux au nom de l'ANP, et qui portent leurs vertus et leurs limites, l'opinion démocratique a été particulièrement attentive aux interventions brillantes de chercheurs militaires, plus avancées car dénuées de calculs, sur le projet islamiste, l'unité stratégique du mouvement islamiste, la genèse du terrorisme » et regrette qu’aucun patriote armé n’ait été invité à témoigner. Dans son texte, intitulé « le monde bouge, l’Algérie déprime », publié dans le quotidien Le Soir d’Algérie du 24 octobre 2001 El Hachemi Chérif s’indignait déjà : « comment peut-on considérer la “sortie” du général-major Touati, pour le moins surprenante par les glissements de sens dangereux qu’elle comporte, en posant, à son tour et à sa manière, la question de l’identification des responsables des attentats du WTC sous la forme du “qui tue qui ?” comme s’il fallait attendre encore d’autres frappes pour en avoir le cœur net, en parlant de terrorisme international sans l’identifier alors que son identification crève les yeux “etbaâbaâ !”, en croyant régler définitivement le contentieux de la concorde et de l’amnistie des terroristes en leur apportant sa bénédiction, en louvoyant sur le nombre, le statut des “repentis”, oubliant que sans la résistance il n’y aurait aucun repenti, en présentant le passage au terrorisme comme une simple méprise et l’acte terroriste comme un acte pardonnable, en absolutisant le rôle de l’ANP au détriment du rôle de la société civile et des forces démocratiques et des Patriotes armés, tout en plaçant la haute hiérarchie au-dessus de l’armée, qui devient “le reste de l’armée”, en mettant les difficultés de la lutte contre le terrorisme au prétexte que “ce n’est toujours pas facile pour le lieutenant, l’adjudant, le commandant ou le commissaire de s’épuiser à pourchasser les terroristes...”, au lieu de parler des contradictions et des limites de la stratégie de l’ANP prisonnière de la stratégie politique du pouvoir ? »
Khaled Nezzar aussi n’échappe pas aux critiques d’El Hachemi Chérif qui lui avait pourtant apporté un soutien dans sa polémique contre le général Benyellès et qui, à son tour, était intervenu face à Larbi Zitout sur le plateau d’El Jazeera, dont l’animateur semblait avoir tendu un piège au secrétaire général d’Ettahadi. Mais l’était-il à sa seule instigation? Dès que Bouteflika faisait acte de candidature à la présidentielle d’avril 1999, une divergence sur l’appréciation de l’homme apparût entre Nezzar et El Hachemi Chérif. Pour le premier Bouteflika était « le moins mauvais des candidats » tandis que pour le second on « l’avait sorti de la poubelle de l’histoire ».
C’est finalement cette dernière qui a tranché entre les deux appréciations. Mais, avant d’en arriver là, Bouteflika aura eu le temps de mettre en œuvre sa politique de Concorde civile dont les effets délétères n’allaient pas tarder à se répandre. La campagne du qui-tue-qui rebondit, afin de mettre les forces patriotiques et démocratiques les plus conséquentes sur la défensive, néanmoins El Hachemi Chérif et le MDS n’allaient pas tarder à mener la contre-offensive. Durant cette campagne, le général Nezzar décide d’affronter Habib Souadia, l’auteur de « la sale guerre » publié aux éditions La Découverte, lors d’un procès en France. Il met alors en place un dispositif avec une série de témoins qui seront tous plus ou moins disqualifiés par les contre-témoignages produits devant le tribunal et le procès se terminera par un non-lieu en faveur de Souadia et de ses thèses.
El Hachemi Chérif sollicité, refusa de se joindre à cette opération, flairant un piège. Quelques années après des proches d’El Hachemi Chérif iront soutenir Nezzar dans un nouveau procès, en Suisse cette fois-là, le général semblant vouloir effacer les désaccords exprimés par le défunt secrétaire général du MDS. Mais c’est sur la question du Sahara occidental que les divergences entre le général Nezzar qui estimait que l’Algérie n’avait pas " besoin d’avoir un nouveau pays à ses frontières" et El Hachemi Chérif furent rendues publiques en 2003. Faisant part de ses interrogations suite à la prise de position de Khaled Nezzar, El Hachemi Chérif écrit : « Le général à la retraite Khaled Nezzar a le droit, comme citoyen algérien, de dire ce qu’il veut sur n’importe quel dossier.
Pour être plus édifié sur la portée de sa récente intervention, il importe de savoir si, en l’occurrence, il parle comme partie prenante de l’Etat algérien et de l’institution dont il est issu ou s’il ne fait que lancer des ballons sondes personnels ou au nom de ces institutions préparant des révisions lourdes en la matière. Quoi qu’il en soit, si ces propos portent une signification pertinente, ils révèlent soit une position constante qu’il n’aurait jamais osé défendre ouvertement et que l’opinion ne lui connaissait pas, soit un retournement de position de sa part ou de la part de l’institution qu’il a dirigée, ce qui, dans les deux cas, n’est pas sans poser problème et susciter quelques interrogations. Le moins qu’on puisse en conclure est que cet épisode nous aide à mieux comprendre les contradictions et les limites manifestées par l’institution militaire dans la gestion de la crise nationale et dans la dérive dans de multiples domaines ». El Hachemi Chérif souligne alors que « l’objet de l’intervention de Khaled Nezzar et la position qu’il a exprimée sont trop sérieux pour ne pas être pris au sérieux, même si l’intéressé paraît les avoir traités par-dessus la jambe, sans retenue, sans esprit de responsabilité ni respect d’obligation de réserve, à plus forte raison s’agissant d’une personnalité qui a été au sommet du pouvoir d’Etat ».
Il poursuit alors : « Puisque Nezzar n’avait pas en son temps exprimé un tel point de vue, il ouvre le droit de s’interroger si, en définitive, sa sortie n’entre pas dans une logique de reniements ou plutôt dans une logique de luttes d’appareils et de manœuvres qui s’inscrivent dans la course aux présidentielles ». El Hachemi Chérif n’hésite pas alors à parler de « débandade », de « mystification », de « gages aux puisssants du monde ». Pour lui cette intervention « sonne comme un quitus au royaume marocain et une condamnation à posteriori sans appel de la position algérienne telle qu’elle a été conduite, et il ne manquerait dès lors qu’à exiger de ceux qui ont élaboré et exécuté cette politique – et Khaled Nezzar en fait partie – de rendre des comptes ». Oui, il a parlé de rendre des comptes ! Tout en rappelant qu’il « ne s’agit ni de diaboliser le Maroc qui nous a été d’un soutien précieux pendant notre lutte de libération nationale, ni insulter l’avenir, mais travailler inlassablement à créer les conditions d’un retour de la région à la paix et à la stabilité, du retour aux liens de solidarité fraternelle ». Au moment où Tebboune accroche une médaille sur la poitrine du général Nezzar et que le ton monte avec le Maroc, cette intervention ne devra pas être oubliée.
Quelques temps auparavant, en janvier 2003, El Hachemi Chérif avait sévérement critiqué une intervention du chef d’état-major de l’ANP, Mohamed Lamari qui entrait elle aussi dans les manœuvres autour de la présidentielle qui s’annonçait en 2004. Le général affirmait la disponibilité de l’ANP à reconnaître le futur président, fut-il un islamiste ! Le secrétaire général du MDS constate alors que « une telle affirmation est lourde de signification et de conséquences, du fait qu’elle prend le contre pied de la ligne patriotique tenue par l’ANP depuis le début de la crise et introduit une suspicion dangereuse en faisant porter le discours réconciliateur opportuniste au niveau le plus élevé de responsabilité de l’Etat et à l’institution autour de laquelle, par nécessité, s’est structurée la résistance au terrorisme islamiste. Elle suscite la question de savoir pourquoi en est-on arrivés là après avoir entériné la démission de Chadli en janvier 1992 et l’acte salvateur d’arrêt du processus électoral qu’ainsi elle délégitime. Elle brouille la lisibilité de la ligne stratégique du noyau dur de l’Etat et ses alliances, redonne confiance et espoir aux islamistes en leur laissant l’opportunité de se porter sur une ligne plus conquérante. Enfin, elle ne manquera pas de persuader que l’activisme islamiste et la violence terroriste paient ».
El Hachemi Chérif considère alors que ces propos constituent « une caution ultime à la conquête du pouvoir par l’islamisme » et un glissement dangereux . Il rappelle alors que « le Chef d’Etat major de l’ANP reprochait aux politiques de ne pas jouer leur rôle face à l’islamisme alors que l’ANP assume le sien face au terrorisme, le voilà qui avance des propos qui pèsent en faveur des islamistes. Ses propos ne manqueront pas d’être perçus comme signe de faiblesse, une inflexion stratégique, un encouragement leur offrant l’opportunité de reprendre confiance et initiative et de se déployer avec plus d’agressivité. Ils risquent, à contrario, de favoriser un nouveau moment de démobilisation dans la société déjà déstabilisée par les contradictions et inconséquences de la politique du pouvoir ». El Hachemi Chérif conclut que « la position du MDS est fondée sur une base de principe visant à asseoir les bases d’une rupture démocratique moderne passant nécessairement par la disqualification de l’islamisme et du système rentier, et sa tactique s’ajustera avec l’avancée de la marche dans la voie de la garantie d’une évolution démocratique moderne radicale. Ceux qui tiennent à des alliances avec les démocrates authentiques devront en tenir compte, d’autant que la société connaît une grande dynamique de maturation ».
Toutes les critiques d’El Hachemi Chérif contre les généraux algériens visaient à démasquer leur esprit de conciliation qui s’exprime selon des degrés différents chez les uns et les autres. Cependant la ligne de compromis n’était pas le fait de quelques généraux isolés, mais bel et bien celui de toute l’institution. Dans la plaquette consacrée à l’ANP dans la crise, publiée en juillet 1995, El Hachemi Chérif relevait déjà que « contre les dangers et les tentatives de division et de déstabilisation et jusqu’à plus ample informé, l’ANP a fonctionné par consensus, explicite ou implicite, pour tout ce qui porte sur les grandes décisions ». D’où la critique qu’en fait El Hachemi Chérif dans de nombreuses contributions et évaluation et en particulier dans celle de la présidentielle de 2004, où l’ANP a voulu faire porter la responsabilité de la réélection de Bouteflika à la société, tout en ayant favorisé celle-ci par sa stratégie sourde.
Lors du colloque organisé par le MDS sur la crise de l’État algérien , alors qu’il récusait jusque-là les approches simplistes sur le rapport entre l’armée et l’État, il pointait néanmoins du doigt des approches et des responsabilités plus directes: « Dès que l’armée est ou se sent en devoir d’intervenir, cela veut dire que l’État a, quelque part, failli. A moins que l’on soit dans le cas de figure où l’Etat étant totalement défaillant, sur le fond, c’est l’armée qui compense ce déficit, qui en fait office, et dans ce cas ce n’est plus l’armée qui est un instrument de l’État mais l’État qui est la façade et l’instrument de l’armée ». Et dans une des lettres envoyées au bureau national durant sa maladie, El Hachemi Chérif constate même : « oui, l’armée a contribué au sauvetage du pays, à partir de sa position comme institution de défense de l’État républicain. Quoi de plus normal quand les dangers se précisaient qu’aucune société civile ne pouvait combattre par les seuls moyens pacifiques. Mais aussi elle assume la responsabilité d’avoir accompagné toutes les contradictions des différents pouvoirs depuis l’indépendance».
Dans sa contribution sur l’ANP, il concluait que sa « hiérarchie, à partir du seuil d’implication dans la politique, de la classe politique, devient partie intégrante du personnel politique, de la classe politique et se distingue relativement de l’ANP/institution, tout en assumant paradoxalement sa direction". Doit-elle en répondre comme d’autres dirigeants politiques ? Et peut-on poser cette question sans rappeler qu’El Hachemi Chérif exigeait que Bouteflika soit jugé devant une juridiction appropriée ? Et une des conséquences ne serait-elle pas alors que certains généraux répondent de leurs actes dans le cadre d’un processus de justice transitionnelle ?
Le courant opportuniste du MDS ne se prive pas d’exiger que les généraux soient jugés, en attendant peut-être qu’ils soient « jetés à la poubelle ». Si les opportunistes prennent des positions si véhémentes en apparence c’est qu’ils ont bien noté que Khaled Nezzar avait déjà exprimé sa disponibillité à être confronté à Ali Belhadj, le chef du parti des assassins, et que le général Mohamed Médiène avait exigé que son procès soit retransmis en direct à la télévision. Téméraires mais pas fous, nos opportunistes savent que les généraux algériens sont prêts à affronter une juridiction qui reviendrait sur les crimes commis ou imputés aux uns et aux autres durant l’affrontement avec le terrorisme islamiste. Après tout El Hachemi Chérif lui-même exigeait que tous les documents et les preuves de la responsabilité de l’islamisme soient livrés à l’opinion publique.
Et peut on faire la vérité sur les actes des uns sans faire la vérité sur les actes des autres? Mais là où le bât blesse, c’est que nos opportunistes, derrière ce qui semble une rage contre les généraux, ne nous disent rien sur la façon dont ils envisagent le processus de justice transitionnelle et ne parlent plus de mettre l'islamisme en accusation. Ce qui laisse planer des doutes sur leur volonté à aller plus loin que ce qui serait le nouveau compromis recherché au sein du pouvoir, et en particulier ce à quoi l’ANP serait prête à souscrire afin d’apurer une situation héritée d’une période dont le moins qu’on puisse dire est que son récit ne fait pas l’unanimité, laissant ainsi persister une fragilité dans la société qui doit justement trouver un nouveau consensus démocratique. Le nombre de généraux déjà envoyés en prison dépasse l’entendement, même en Argentine et en Grèce cela ne s’était pas vu durant la transition. Nos opportunistes en oublient du coup un des slogans du hirak : « Djeich-Chaab/ Khawa-khawa ».
Ils ont bien compris la disponibilité de l’ANP à faire assumer leurs responsabilités à certains généraux, et autrement que sous la forme d’un règlement de compte, mais ils semblent sous-estimer le rôle patriotique que l’institution doit encore jouer aux côtés du peuple algérien dans la conquête de la souveraineté populaire, et dans un contexte régional pour le moins inquiétant et propice aux aventures pour des dirigeants politiques sans scrupules. Par ailleurs, les dogmatiques qui accusent les opportunistes de faire le jeu des islamistes, oublient que ce jeu c’est aussi celui du pouvoir, et en particulier de l’ANP et de son état-major toujours en quête de compromis. Les uns pensent que le changement radical viendra en échappant au procès des généraux, les autres ont renoncé au changement radical, en acceptant par avance, un procès dont la vocation sera d’élargir le compromis établi dans le cadre de la réconciliation nationale, aux forces qui l’avaient rejetée. En conséquence, les uns et les autres, en se positionnant pour ou contre un procès des généraux, oublient la question principale : comment un tel procès peut-il servir le changement radical
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