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Publié le : 01 Avril, 2023 - 16:30 Temps de Lecture 4 minute(s) 532 Vue(s) Commentaire(s)

Ghilas Aïnouche : ‘‘Le Café littéraire d’Aokas a été fermé parce qu’il était un espace d'expression libre qui dérangeait énormément les tenants du pouvoir’’

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J'ai appris la mauvaise nouvelle de la dissolution du café littéraire d'Aokas par le tribunal administratif et du coup, je tiens à leur apporter mon soutien et ma solidarité.

Depuis 2009, j'ai eu à participer à plus de 80 cafés littéraires à Béjaïa. Au théâtre régional de Béjaïa (TRB) et au CCI de l'université (Targa Ouzemour, ITE...). Je faisais des dessins en direct lors des nombreuses conférences. À l'époque, aucun journal ne voulait publier mes dessins jugés trop directs, dérangeants et politiquement incorrects. Même les rares journaux qui ont accepté de me recruter, ce n'était que pour quelques temps. Au bout de quelques mois, semaines ou même certains jours seulement, il finissaient par me licencier.

À l'époque, tout ce qui me restait comme espace d'expression, me permettant d'avoir un nom dans le milieu, c'était les cafés littéraires. Ça s'est rendu possible grâce à Kader Sadji, le fondateur du premier café littéraire de Béjaïa. Par la suite, plusieurs autres cafés littéraires ont pris naissance un peu partout en Kabylie.

Faute de moyens financiers, au lieu de recevoir un salaire, je recevais gratuitement le livre de l'invité du jour à la fin de sa conférence, avec ou sans sa dédicace. Donc, j'étais payé avec des livres. J'étais heureux, malgré le peu de moyens que j'avais, car pour moi, l'important était de faire ce que j'aime, le dessin comme passion capable de faire passer des messages en mesure de bousculer les consciences pour les éveiller à ma manière à un changement positif. En brisant les tabous, on finit par les banaliser pour nous concentrer sur les vrais problèmes.

À mes début, avec le café littéraire, c'était Omar Fetmouche le responsable du TRBéjaïa. À force de faire des dessins en direct lors des nombreuses conférences du café littéraire et après chaque fin de conférence, certains me disaient : " Soit c'est de l'inconscience, soit c'est de la folie, soit c'est du courage de faire ce genre de dessin en Algérie ! ". Malgré ça, les responsables du TRB ont acheté spécialement pour moi un grand support blanc pour permettre la projection en grand format de mes dessins pendant les conférences. Pour moi, c'était une reconnaissance, une petite victoire pour la liberté d'expression et la démocratie. D'ailleurs, à ce jour, il se trouve toujours au TRB.

Grâce au café littéraire, les médias locaux en parlaient. J'ai fini par me faire découvrir et à avoir une place dans certains journaux qui ont accepté par le suite de collaborer avec moi. Malgré les dessins projetés lors de ces conférences qui dépassaient toutes les limites et lignes rouges selon certains, je n'ai jamais été convoqué par la police ou par la justice. Mais vers la fin de 2016 et 2017, le pouvoir algérien commençait à interdire les cafés littéraires. C'était révoltant et surtout incompréhensible au début. Je me disais : " Comment ça se fait que depuis 2009, j'ai participé à des dizaines de cafés littéraires, le plus normalement du monde, et du jour au lendemain, c'est devenu interdit. Bizarroïde, anormal ! "

Par la suite, j'ai compris le but recherché à l'époque. C'était de créer un vide total afin de préparer le 5e mandat de Bouteflika pour qu'il passe comme une lettre à la poste. D'ailleurs, ses sympathisants, à l'époque, jouaient souvent sur cet argument : " à part Bouteflika, y a qui d'autres ? "

Justement, c'est fait exprès ! Le pouvoir n'a laissé aucun militant, opposant, artiste, journaliste ou même un simple citoyen s'exprimer. Les lives, " les vidéos sur les réseaux sociaux ", la 3G, 4G ou la 5G n'existaient pas encore pour certains et d'autres n'étaient pas aussi avancé comme aujourd'hui. Donc, ce qui restait, c'était les cafés littéraires, puisque la majorités des médias étaient contrôlés !

Au départ, ça a commencé par l'interdiction des conférences au café littéraire de Bouzeguene, ensuite celles d'Aokas et puis, ça s'est généralisé à d'autres régions.

Pour rappel, le 22 juillet 2017 à Aokas (Béjaïa), voir photos accompagnant ma publication, j'ai été tabassé par la police suite à ma participation à une marche pacifique pour dénoncer l'interdiction des cafés littéraires et soutenir les organisateurs. En me tabassant, l'un des policiers criait : " dessine maintenant ! ". J'étais blessé et transporté à l'hôpital, qui se trouve à quelques pas du lieu de l'incident, par Braham Bennadji.

Le lendemain, le chef de sûreté de la wilaya de Béjaïa a refusé de recevoir ma plainte en disant, après avoir vu certaines de mes photos à l'ambassade des États-Unis et de France sur Facebook : " Va demander à tes États-Unis ou à ta France de t'aider... Rouh win techki ! ". Une semaine après mon tabassage, il y a eu la marche historique du livre. Durant cette marche, des milliers de citoyens ont marché un livre à la main. Il y a eu toutes les tendances et couleurs politiques.

Je tiens à souligner que tous les conférenciers disaient tous la même chose quand ils venaient, pendant ou après la conférence : " On ne peut nulle part ailleurs, en Algérie, nous exprimer aussi librement, comme ici au café littéraire ! "

Du coup, cet espace d'expression libre dérangeait énormément les tenants du pouvoir. Aujourd'hui, on a le même système mais avec un régime différent. Le régime de Tebboune est pire que celui de Bouteflika. Pourtant, je croyais qu'on ne pourrait jamais avoir pire que Bouteflika... Maintenant, il n'y a pas seulement d'interdiction mais la suppression carrément. On assiste tous les jours aux funérailles de la liberté d'expression, de la démocratie, de la justice, des droits humains, de la dignité humaine...

Malgré tout, il faut se battre jusqu'au bout et résister !

Le combat continue !

À bas les dictatures !

Pour la libération immédiate et sans condition de tous les prisonniers politiques et détenus d'opinion !

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