L’apparition du Mouvement populaire le 22 février 2019, avec des manifestations massives tous les vendredis et celles des étudiants tous les mardis, est le signe évident que le Pouvoir n’a plus de légitimité. S’il y a crise, c’est bien d’une crise de légitimité qu’il s’agit. C’est pourquoi, il ne peut y avoir de sortie de crise sans remise en cause du populisme islamo-nationaliste autoritaire qui sert de fondement au Pouvoir depuis l’Indépendance. Certes, des élections sont organisées régulièrement mais les dirigeants tiennent leur pouvoir de leur passé nationaliste, réel ou supposé, et non des élections, truquées et peu crédibles.
Le système repose en outre : Sur un arsenal de lois liberticides (lois sur les réunions publiques et les manifestations, loi sur les partis, syndicats et associations, loi sur l’information…) et quantité d’interdits arbitraires ; Sur des appareils politiques (le FLN, ses satellites et ses clones) dont la raison d’être est la mobilisation des clientèles et le soutien au pouvoir en place ; Des institutions étatiques (ministère des Moudjahidines, ministère des Affaires religieuses, ministère de l’Information…) chargées de relayer les appareils politiques dans la propagande populiste, islamo-nationaliste, et le recrutement des clientèles acquises au régime.
Pour compléter le tableau, il faut dire aussi qu’il s’agit d’un pouvoir militaro-sécuritaire avec une façade civile, élue par la fraude ou désignée, mais généralement avec le parrainage de la police politique. Aujourd’hui, la légitimité populiste est totalement épuisée et doit céder la place à la légitimité démocratique.
Dès le départ, le Mouvement populaire s’est inscrit en rupture radicale avec le système. Il a déjà comptabilisé plusieurs acquis à son actif et ne semble pas vouloir s’arrêter tant que son objectif principal n’est pas atteint. Certes, la mobilisation a fléchi durant le Ramadan et l’Eté mais un regain de la mobilisation, que l’on pressent très fort, est attendu à la rentrée.
En définitive, il y a bien deux camps qui se font face : celui des partisans du statu quo, représentés par le chef d’Etat-major, et celui du changement, représenté par le Mouvement populaire. Pour l’Etat-major, la solution passe par l’élection présidentielle à court terme, en comptant sur le futur président élu pour entreprendre d’éventuelles réformes. Le dialogue n’a d’objectif que la tenue de l’élection présidentielle le plus tôt possible. Le Mouvement populaire, au contraire, rejette l’élection présidentielle dans les conditions actuelles et réclame une période de transition, avec une révision profonde de la Constitution et des lois et même une assemblée constituante souveraine pour en finir clairement avec l’autoritarisme et entrer résolument dans une deuxième république.
Les positions des deux camps semblent inconciliables. Sauf événement totalement inattendu, aucun des deux camps n’est en mesure de l’emporter dans un avenir prévisible. L’impasse paraît totale. Pourtant, une analyse approfondie de la situation permet d’envisager un possible compromis.
Cela passe évidemment par une révision déchirante pour les décideurs qui devraient annoncer publiquement qu’ils renoncent définitivement au pouvoir, épargnant ainsi au pays une longue agonie et un effondrement économique quasi certain.
Le compromis consisterait pour le Mouvement populaire à accepter la revendication principale de l’Etat-major, à savoir la tenue de l’élection présidentielle à court terme (dans les six mois), mais avec des conditions et pour l’Etat-major d’accepter une transition avec, à la clé, une assemblée constituante souveraine. Si cette proposition est acceptée par les deux parties, il s’agirait là d’un véritable compromis historique pour un changement pacifique et ordonné.
Aucun dialogue ne sera nécessaire. Il n’y aura pas de vide constitutionnel à aucun moment et pas de nécessité de désigner des personnes cooptées pour diriger la transition. Dans le détail, le futur président élu, serait un président de transition, avec un mandat écourté à 2 ans et demi. Une telle option constituerait à n’en pas douter une première rupture dans le système. Au terme de la première année du mandat serait élue une assemblée constituante souveraine, dotée également d’un pouvoir législatif. L’assemblée constituante disposerait alors d’un délai d’une année environ pour préparer un projet de constitution qui serait soumis au peuple par voie référendaire. Pour rester dans un cadre constitutionnel, ce compromis pourrait être annexé au programme présidentiel et adopté par le biais de l’élection présidentielle. Ce compromis historique n’est au fond que la traduction concrète de la communion du peuple avec son armée (« djeich chaab, khaoua khaoua ») et de la revendication d’un Etat civil et non militaire (« daoula madaniya machi 3skariya »).
Il faut bien entendu des garanties. L’idée est que, si les décideurs acceptent de quitter définitivement le pouvoir, ils n’auront nul besoin et nul intérêt à ce que soient maintenus les instruments sur lesquels se fonde l’autoritarisme. Tous ces instruments doivent donc être démantelés, sans tarder, de manière à rendre impossible toute régénération du système. Il faut donc abroger les lois liberticides (d’ailleurs anticonstitutionnelles), dissoudre le FLN, ses satellites et ses clones et supprimer les institutions relais du discours populiste, islamo-nationaliste. Il est indispensable également de dissoudre la police politique, tout en préservant l’outil de renseignement. A n’en pas douter, ces mesures constitueraient un signal positif, à même de garantir la crédibilité de l’ensemble du processus. L’autre garantie, c’est, bien évidemment, la poursuite de la mobilisation du Mouvement populaire.
Alger, le 24 août 2019
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