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Publié le : 07 Août, 2019 - 17:00 Temps de Lecture 5 minute(s) 959 Vue(s) Commentaire(s)

Génèse du soulèvement du 22 février

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Le soulèvement populaire du 22 février n’est pas un commencement d’un processus révolutionnaire, mais il constitue un aboutissement d’une succession de luttes démocratiques et de sacrifices entamés à l’aube de l’indépendance confisquée par un régime totalitaire né d’un coup d’Etat militaire opéré par l’armée des frontières contre le GPRA. La conscience politique de cette jeunesse qui est en train de mener une véritable révolution populaire n’est pas un vaccin à effet immédiat injecté aux Algériens à l’aube du 22 février 2019, mais c’est un couronnement des combats menés par trois générations de militants, de l’insurrection de 1963 à la mobilisation contre le 4ème mandat de Bouteflika.

Dans ce processus de conscientisation, le Printemps Berbère de 1980 est sans aucun doute l’étape qui symbolise le plus cette lutte pour une Algérie démocratique et plurielle. Le 20 Avril 1980 représente pour le combat démocratique, qui aspire à libérer le pays de la dictature, ce que représente le 1er Novembre 1954 pour le combat pour la libération de l’Algérie du joug du colonialisme.

Sommes-nous dans une révolution démocratique ?

Dans tous ses aspects apparents et ses slogans, la révolution du 22 février constitue un véritable prolongement du printemps démocratique de 1980. La présence massive des femmes dans les marches de vendredi à travers tout le territoire national, ainsi que la l’extraordinaire communion entre les deux emblèmes national et Amazigh, est une preuve tangible que cette révolution porte les germes de la démocratie et de la citoyenneté.

Au delà du changement politique radical et de la rupture exprimée par le peuple à travers le slogan « Système dégage », un extraordinaire changement sociétal est en train de s’opérer. La métamorphose du comportement de l’Algérien vis-à-vis de la femme et de son rôle dans la vie publique est un signe qui permet l’espoir. Que les Algériens portent l’emblème amazigh dans la majorité des chefs lieux des wilayas est aussi un signe de l’ancrage de l’identité commune enfin retrouvée. Certes, les intimidations honteuses et les emprisonnements injustes des porteurs de cet emblème ont ralenti sa propagation, mais des résistances existent et l’élan de solidarité avec les détenus est d’envergure nationale.

Il ne s’agit pas d’une illusion ou d’un quelconque populisme, il s’agit bel et bien d’une analyse objective des ingrédients et des éléments qui se dégagent du terrain des luttes. Les caractéristiques des marches de vendredi consolident de plus en plus ce besoin d’un vivre-ensemble qui s’affirme dans la société et surtout cette volonté assumée d’opérer une rupture radicale avec le système en place.

Le fait que le pouvoir de Gaïd Salah ait construit sa contre-révolution sur la division et sur la diabolisation de ces deux questions démocratiques par excellence, à savoir la liberté de la femme et la reconnaissance de l’identité, est une confirmation du caractère démocratique et citoyen de la révolution du 22 février. Que Naima Salhi, représentante par excellence des promoteurs de la diabolique stratégie de division, soit chassée de Djelfa est aussi une affirmation de cette réelle conscience qui prend son ancrage dans toute la société algérienne avec toute sa diversité.

Une révolution pour quel Etat ?

A travers cette analyse, il est évident que ce qui se passe aujourd’hui en Algérie est une révolution démocratique et que cette dernière est bel et bien une aspiration populaire. La classe politique et les élites sont appelées à traduire politiquement cette affirmation démocratique exprimée par le peuple chaque vendredi. « Système dégage » n’est pas un slogan creux mais un rejet qu’il faudrait transformer en projet de rupture démocratique. Au-delà des figures qui symbolisent le régime et sa clientèle, il s’agit aussi de démanteler ce système à travers la neutralisation des fondements qui garantissent son existence et sa continuité avec un autre personnel politique.

A mon sens, le système algérien repose sur des fondements qu’il faudrait dégager pour pouvoir dire que la rupture est réalisée et que le changement est opéré.

Le caractère militaire du régime est sans doute le nœud gordien qui mine le champ politique national. Le premier dérapage dans le sens d’imposer une empreinte militaire totalitaire à l’Algérie indépendante remonte au milieu de la guerre de libération à travers le lâche assassinat de l’architecte de la révolution Abane Ramdane qui prônait clairement la primauté du civil sur le militaire.

Le coup d’état opéré par l’armée des frontières contre le GPRA était une consolidation de cette mainmise de l’armée sur la vie politique nationale. Il est important aujourd’hui de corriger ce mensonge historique qui présente l’ANP comme l’héritière de la glorieuse ALN. L’emprisonnement du grand Moudjahid Lakhdar Bouregaa est la preuve vivante que le pouvoir actuel méprise l’authentique Armée de Libération Nationale.

En plus de cet aspect militaire, le système s’appuie aussi sur d’autres fondements : son idéologie négationniste uniciste qui érige la pensée unique en mode de gouvernance, son jacobinisme ravageur des particularités régionales et son économie rentière qui bloque toute tentative de diversification et qui tue dans l’œuf toute aspiration à l’autonomie de la société.

De mon point de vue, toute transition qui ne s’inscrit pas dans le sens de démanteler ces fondements ne peut être une transition de rupture. La disparition totale et définitive du régime passe par la disparition de ses caractéristiques et des piliers sur lesquels il repose. Dans le cas contraire, même sans son personnel politique et affairiste, le système va certainement se régénérer.

Malgré les menaces du chef d’état-major, le slogan « Primauté du civil sur le militaire », scandé et assumé par les manifestants à travers tout le territoire national, a définitivement tranché la problématique de la nature de l’Etat auquel aspirent les Algériens.

Conclusion :

Dans une situation révolutionnaire comme celle engagée depuis le 22 février, aucune force politique aussi représentative soit-elle ne peut prétendre détenir la solution. L’alternative ne peut être que fédératrice mais plurielle. La plate-forme politique qui contient les minimas démocratiques, adoptée par l’essentiel des partis du pôle démocratique, répond aux aspirations populaires portées par la rue pendant toutes les marches pacifiques de cette révolution. Elle est tout simplement le début de la solution. Toutes les autres agitations dialoguistes ne sont que des tentatives d’essouffler le mouvement et s’inscrivent dans une logique d’alternance clanique qui va permettre au système de se reproduire sous un autre visage et surtout au nom d’une autre tribu.

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