Vous, qui avez participé aujourd’hui à la marche des étudiants, ici à Béjaïa, que pensez-vous de la mobilisation de ce 28ème mardi ?
Premièrement, c’est un honneur d’être ici et de prendre part à la manifestation des étudiants. C’est important de dire qu’ils n’étaient pas seuls car d’autres couches sociales les ont rejoint dans leur action. Cela veut dire qu’il y a une volonté populaire globale à se réapproprier les espaces publics et à manifester, non seulement les mardis et vendredis, mais quotidiennement. C’est d’ailleurs mon souhait en tant que militant. L’été a été un obstacle pour nous. Mais ce n’est plus le cas. J’espère que nous réussirons à nous unir toutes et tous, toutes couches sociales confondues, dans toutes les wilayas du pays et profiter de la rentrée sociale pour manifester quotidiennement afin de concrétiser les objectifs de la révolution pacifique qui dure depuis six mois.
Comment se porte le mouvement dans le sud, particulièrement dans votre région d’origine, Ouargla ?
Pour des raisons que nous connaissons tous, le mouvement populaire a connu un recul dans toutes les régions du pays et ce, à cause des conditions climatiques difficiles et des vacances. Mais Ouargla a ses propres particularités. Elle est d’abord une région militaire, ce qui nous rend la tâche difficile.En plus, elle est la propriété de la « 3issaba » (la bande) dont beaucoup y ont des affaires et un ancrage. N’oublions pas que Ouargla est la capitale économique de l’Algérie, ce qui explique l’intérêt particulier que porte « la bande » à cette région. Dans le sud, il y a un affrontement entre deux courants de pensée, ce qui n’est pas le cas ici à Béjaïa. Les badissistes et de novembristes à Ouargla se sont même attaqués à nous physiquement. Ils ont tenté aussi de nous obliger à rester chez nous pour ne plus manifester.
Cela veut-il dire que ce courant de badissistes et de novembristes est contre la révolution pacifique du peuple ?
Effectivement. Ce sont eux qui soutiennent Gaïd Salah. D’habitude, la contre-révolution vient après la révolution du peuple. Dans le sud dont Ouargla, en particulier, ces contre-révolutionnaires qu’on appelle les badissites et les novembristes s’acharnent contre ceux qui appellent au changement depuis le début du mouvement.
Comment voyez-vous l’avenir du mouvement populaire à Ouargla et dans les autres wilayas du sud ?
Les luttes à Ouargla sont saisonnières. Elles reprennent généralement de décembre jusqu’au mois de mai. Les luttes sociales, syndicales et celles des chômeurs sont spontanées. Quant au mouvement populaire, je suppose qu’il reprendra avec la rentrée sociale. Mais je tiens à rappeler une chose : c’est le pouvoir qui est en crise et non le peuple. C’est la 3issaba qui se trouve dans la tourmente et non nous. Nous avons tout le temps pour atteindre nos objectifs. Nous préparons le changement et cela prendra le temps qu’il faudra. Bâtir de nouvelles institutions et construire un nouveau État peut prendre entre cinq à dix ans comme a été le cas pour beaucoup de pays. Nous concernant, nous venons juste de commencer. Il faut prendre le souffle car le chemin sera long. Nous luttons aussi pour cet objectif.
Quelle est votre réaction par rapport au discours de Gaïd Salah dans lequel il a appellé le gouvernement à convoquer le corps électoral pour ce 15 septembre ?
C’est inimaginable de penser qu’une élection présidentielle peut se tenir dans ce contexte. Le peuple a aujourd’hui un discours opposé à celui du Chef de l’État-major. Il demande la fondation d’un nouveau État, d’un nouveau projet de société et exige un processus constituant et l’instauration d’institutions dignes de ses revendications. Le peuple rêve de vivre dans une République conforme à ses attentes. Ces revendications sont partagées par toutes les franges de la société, y compris les étudiants et le peuple qui marche chaque vendredi. Ces franges veulent aller vers une période de transition même si cela va leur prendre dix ans de leur vie. Le plus important est de s’entendre sur la constitution d’un État civil qui consacrera la citoyenne de tou.te.s les algérien.ne.s, sans référence à l’ethnie, la couleur, la religion ou le sexe de la personne. Que le pouvoir le veille ou pas, nous n’avons pas d’autre solution hormis celle d’aller vers un processus constituant pour la fondation d’une nouvelle République en Algérie. C’est cette période de transition qui fera rupture avec le passé.
Dans ce contexte particulier, que voulez-vous dire au peuple ?
En tant que militant et enfant des luttes sociales, je souhaite ne pas revivre la période du despotisme d’avant le 22 février. Nous avons vécu sous un régime répressif par excellence. Nous avons enduré les poursuites judiciaires, les emprisonnements et le harcèlement à outrance. Nous luttons, aujourd’hui, pour l’institutionnalisation des libertés pour qu’aucun responsable ne puisse abuser de son pouvoir pour nous réprimer, étouffer les libertés individuelles et collectives ou violer nos droits qui sont inaliénables. Nous luttons pour avancer et nous allons réussir à le faire.
Chaque week-end, recevez le meilleur de l'actualité et une sélection d'événements en vous inscrivant à notre bulletin d'informations.