«Mon téléphone sonne, je vérifie pour savoir qui m’a appelé et je vois que c'était Merzoug qui, il faut le rappeler, était à Ghardaïa pour répondre à une convocation de justice. Je me suis sentie soulagée car je pensais qu'il m'avait appelé pour me rassurer et me dire qu’il a été libéré. C’est ainsi qu’il faisait après chaque sortie de commissariat. J’étais en formation. J’ai demandé autorisation et j’ai quitté la salle pour pouvoir décrocher. Moi: on t'as enfin lissé partir ? Lui: ma chérie, écoute moi bien, on a décidé de me placer en garde a vue ! Appelle mon avocat.....et la ligne s'est coupée ! Voila comment j'ai appris que Merzoug Touati, mon époux, ne rentrera pas ce jour-là de Ghardaïa».
L’Avant-Garde Algérie : Votre époux, Merzoug Touati, est condamné en appel par la cour de Ghardaïa à un an de prison ferme. Que peut ressentir l’épouse d’un détenu d’opinion dans une telle situation ?
Nfissa Aissou : Pour vous dire la vérité, je m'y attendais à une telle sentence. J’avais même peur qu'on endurcisse sa peine. Je savais très bien qu'on l'a envoyé à Ghardaïa pour le punir et le faire taire, mais aussi pour en faire un exemple pour tous ceux qui essayent encore de luter contre l'arbitraire que nous vivons. Mais quand il a été placé en garde à vue puis condamné, j'ai ressenti une peine que les mots ne peuvent traduire. J’ai été affronté plusieurs fois aux deuils de personnes qui me sont chères, mais j’ai jamais éprouvé ce que j’endure en ce moment. Être séparée par la force et arbitrairement de mon conjoint, qui est là à l'autre bout du pays pour toute une année, ne pas pouvoir être avec lui, est une chose que je ne souhaite à personne d'expérimenter.
Comment la famille vit-elle sa condamnation ?
Pour sa maman, c'était vraiment un moment d'intenses angoisses. Elle s'attendait qu'au pire on réduirait sa peine à moitié et au mieux, le libérer le jours même. Quand je l'ai appelé pour lui annoncer la confirmation de sa première sentence, elle s'était effondrée. Vous savez, la maman de Merzoug a eu, comme toutes les femmes de sa génération, son quota de malheurs dans notre pays. C'est une femme brave qui a bataillé toute sa vie pour pouvoir élever seule ses enfants et faire d'eux d'honnêtes citoyens. Au final, elle se retrouve encore obligée de lutter encore et encore pour son fils qu'on lui a enlevé par la force. Son petit frère non plus, il n'a pas été épargné, lui qui a dû subir récemment une thérapie psychologique à cause du traumatisme qu’il a vécu lors de la première arrestation de son frère aîné (Merzoug) en 2017. Il se retrouve, encore une fois, affronté à la séparation et à la perte de sa figure paternelle, lui l'adolescent qui en a tant besoin.
Ce n’est pas la première fois que Merzoug est inquiété ou emprisonné, y compris durant le Hirak ? Était-il menacé ou inquiété avant sa convocation et sa détention à Ghardaïa ?
Dès sa sortie de prison, le 04 mars 2019, Merzoug a directement rejoint les rangs du mouvement populaire "le Hirak". Durant la première année du mouvement, il était souvent convoqué par la centrale de police de Béjaïa et arrêté lors des marches du vendredi à Alger. En réalité, les convocations n’ont pas cessé y compris après la suspension des marches hebdomadaires du vendredi pour cause de la crise sanitaire. Merzoug n’a pas eu la vie facile. Depuis, il a été même interdit de quitter chez lui. Il était systématiquement interpellé à chaque fois qu'il mettait les pieds à l’extérieur, notamment le vendredi. il a même été emprisonné du 13 juin au 08 juillet 2020 ici à Béjaïa, avant que les convocations ne se suivent. À cause de son implication dans le Hirak, Merzoug passe son temps en justice. Il me disait tout le temps qu'il était un projet d'arrestation, car en réalité, nous vivions au rythme de ses convocations et de ses arrestations.
Que lui reproche exactement la justice dans cette affaire ?
Merzoug gère actuellement un média en ligne qui s’appelle ELHOGRA.com. Concernant cette affaire, il est poursuivi pour deux chefs d'accusations, à savoir : «outrage à corps constitué» et «diffusion de fausses informations». Les faits qui lui sont reprochés sont en lien avec un statut qu’il a partagé sur son compte facebook où il dénonçait les conditions de détention et l'état dans le quel se trouvait le détenu Mozabite, Mohamed Baba-Nedjar (originaire de Ghardaïa). Lors de son procès, Merzoug a dit au juge qu'il n'avait fait que son travail de journaliste qui constituait à recueillir l'information, vérifier ses sources et ensuite, la rendre accessible au public. Merzoug Touati a été informé par la famille du détenu, sachant que lui-même a croisé le chemin de Mohamed Baba-Nedjar à la prison de Blida où ils ont partagé la même cellule fin 2018. Il a aussi vérifié ses informations auprès de différentes ONGs dont Amnesty international, la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme etc... qui dénoncent souvent, avec la presse écrite qui suivait de près le sujet, ce que subit Baba-Nedjar. Pourquoi Merzoug Touati est le seul a être poursuivi en justice pour ces mêmes faits qu’on pouvait finalement reprochés à tout le monde ? Et puis, pourquoi a-t-il été convoqué et emprisonné à Ghardaïa alors qu’il habite Béjaïa ? Même Mohamed Baba-Nedjar est détenu à Blida ! Pour revenir à votre question, ce sont les autorités sécuritaires et judiciaires de Ghardaïa qui ont ouvert une enquête sur les informations rapportées par Merzoug. Les avocats ont, d’ailleurs, soulevé ce vis de forme de la compétence de la juridiction territoriale du tribunal de Ghardaïa, lors du procès, en vain. Il a été condamné la première fois, le 03 Janvier 2022, à «une année de prison ferme assortie d'une amende de 100 000 DA». Sa peine a été confirmée en appel, le 09 février dernier. Merzoug passera bel et bien une année de prison ferme à la maison d'arrêt de Ghardaïa qui se trouve à 700 KM de Béjaïa .
Lui avez-vous rendu visite en prison ? Et dans quelle situation se trouve-t-il là-bas ?
Me concernant, je n'ai pas pu encore lui rendre visite. C’est sa maman qui s'est déplacée sur les lieux le 19 janvier dernier. C'est grâce à cette rencontre qu'on a appris la date de son procès en appel. Il lui a dit qu'on l'a informé de cette date le 12 janvier et qu'il nous a envoyé un télégramme depuis la prison pour nous informer ! Mais rien ne nous est parvenu ! Merzoug assure qu’il ne reçoit pas de courrier alors que je lui écris presque quotidiennement depuis le 05 janvier. Sa maman a réussi à lui donner quelques vêtements, mais la prison lui a refusé de lui faire parvenir des livres et du papier pour écrire. Sa mère décrit avec beaucoup de souffrance leur rencontre en prison. Un couloir sépare les deux personnes déjà isolées par les parloirs, chose qui n’y était pas dans les anciennes prisons où était détenu Merzoug. Quant à son état, sa maman affirme qu’il garde le moral et qu’il résiste malgré tout.
Quel message voulez-vous passer aujourd’hui après tout ce que vous nous avez raconté ?
Merzoug et tous les détenus se battent pour pour les libertés, dont celle de l’expression, comme l’ont fait pour nous nos aïeux, après plusieurs lutes et souffrances. Nous ne devrions pas laisser partir en vain les sacrifices de l'ancienne et ceux de la nouvelle générations. Il faut s’armer de beaucoup de courage, notamment les familles des détenus, pour qu’elles s’expriment et qu’elles racontent ce qu’elles ressentent et subissent. J'espère qu'un jour la justice et la liberté retrouveront enfin leur place dans mon pays.
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